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JUSTICE : Élection du procureur de la CPI : le grand Mercato n’est pas terminé Actualités 25 septembre 2020

25 septembre 2020 à 18h33 - 2519 vues

Par RadioTamTam

Les jeux sont loin d’être faits pour l’élection du troisième procureur de la Cour pénale internationale, prévue en décembre lors de l’Assemblée des États parties. Fin juin, un Comité a sélectionné quatre candidats… mais aucun ne fait consensus parmi les États, qui jouent les prolongations : mardi dernier, la date butoir fixée pour parvenir à une conclusion a été repoussée au 22 octobre, et le suspense reste incroyablement entier.

À qui la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, remettra-t-elle les clés de son bureau en juin 2021 ? Parier aujourd’hui sur son successeur relève de la gageure. L’élection du premier procureur, le Latino-Américain Luis Moreno Ocampo, en avril 2003, visait à rassurer les États-Unis, brutalement opposés à une juridiction grignotant leur souveraineté. Celle de la Gambienne Fatou Bensouda, en décembre 2011, devait permettre de renouer avec des États africains passablement échaudés par neuf années d’enquêtes ciblant ce seul continent. Après deux décennies marquées par les échecs successifs de l’accusation dans nombre de dossiers, les États attendent du troisième procureur qu’il soit « celui de la réforme », capable de bâtir une politique pénale cohérente suscitant leur confiance, tout en s’isolant des tentatives d’instrumentalisation. À la tête d’un bureau de plus de 300 personnes et d’un budget de presque 50 millions d’euros, son arrivée pourrait ainsi pousser vers la sortie certains « historiques », qui partagent la responsabilité des échecs successifs. Car un vent de « dégagisme » plane sur la Cour.

Le pari des outsiders

C’est un exercice de funambule. Le Comité de sélection, formé d’ambassadeurs et appuyé d’experts, a rendu ses conclusions le 30 juin. Il aura fallu plus de deux mois aux États parties à la CPI pour rejeter les conclusions de ce Comité qu’ils avaient eux-mêmes souhaité, pour sélectionner les meilleurs candidats au poste de procureur, dépolitiser le processus et permettre de dégager un candidat de consensus. Sur les 89 candidats, quatre étaient sélectionnés : l’avocat nigérian Morris Anyah, la juge ougandaise Susan Okalany, le procureur canadien Richard Roy et l’avocat irlandais Fergal Gaynor. Tous des outsiders, pour le petit monde de la justice internationale, qui accuse alors le coup. À La Haye, New York, Genève, quelques-uns se réjouissent, estimant que l’on « change enfin de cap ! » D’aucuns évoquent « un cauchemar », « une blague », voir même « une corruption ! » On s’appelle d’un pays à l’autre, entre ambassades et ministères, on s’échauffe sur Twitter. Le rapport du Comité reconnaît que les candidats choisis « n’ont peut-être, dans certains domaines, pas autant d’expérience réelle ou avérée qu’il ne serait souhaitable ». Et l’ancien procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, David Crane, résume un sentiment partagé par beaucoup : « Le nouveau procureur de la CPI doit susciter un respect immédiat et avoir la stature internationale, qui fait défaut aux candidats proposés ».

En découvrant la sélection du Comité, plusieurs États déplorent l’absence de choix réel. Après un Latino-Américain et une Africaine, les capitales estimaient que le troisième procureur devrait revenir aux Occidentaux, s’appuyant sur une règle tacite de rotation géographique dans les organisations multilatérales. À ce titre, les deux candidats africains sont écartés d’office par de nombreux États. Restaient les deux Occidentaux. Or, la candidature du Canadien Richard Roy pose un problème statutaire. Selon le Statut de la Cour, le procureur ne peut être de même nationalité que ses adjoints. James Stewart, adjoint de Bensouda, est lui aussi Canadien et ne quittera ses fonctions qu’en 2022. « Il devra simplement partir ! », tempête alors un délégué à La Haye. Lui-même candidat malheureux à la succession de Bensouda, Stewart explique qu’il « compte contribuer de façon utile à la transition qui va devoir se faire au départ » de la procureure. Jointe par téléphone, l’ambassadrice canadienne et présidente du Comité, Sabine Nölke, rétorque que les États pourraient s’affranchir du Statut… comme ils l’ont fait par le passé ! « L’actuel adjoint ne sera là que durant la transition », dit-elle, avant de rappeler qu’« il y a quelques années, deux juges japonaises ont siégé en même temps pour une année, et deux Italiens pour quelques mois ».

Le Kenya brise le consensus

Dès le 13 juillet, le Kenya clôt officiellement la possibilité d’un consensus. La liste donne l’impression de placer les États devant « un fait accompli », déplore son ambassadeur à La Haye dans un courrier adressé au président de l’Assemblée des États parties, le Sud-Coréen O-Gon Kwon. Le Comité aurait, selon lui, favorisé Fergal Gaynor, avocat des victimes des violences post-électorales kenyanes de fin 2007, pour lesquelles le président Uhuru Kenyatta et son vice-président, William Ruto, ont été poursuivis puis relaxés par la CPI. La parole de Nairobi aurait dès lors été considérée avec suspicion. « On peut dire ce que l’on veut, mais le Kenya a écrit noir sur blanc ce que beaucoup d’États pensent », commente un diplomate européen. « En disqualifiant les pointures, on permettait à des candidatures plus faibles de passer le cap », estime une autre source diplomatique. 

Dès le dépôt des candidatures, à l’automne 2019, deux favoris semblaient en effet sortir du lot. Le Belge Serge Brammertz, procureur du Mécanisme résiduel des tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda et ancien adjoint d’Ocampo, le premier procureur de la CPI. Il a emporté au printemps une victoire avec l’arrestation du Rwandais Félicien Kabuga, cueilli en banlieue parisienne après vingt-six ans de cavale. Autre favori de poids, le Britannique Karim Khan. Il dirige depuis deux ans l’enquête de l’Onu sur Daesh à Bagdad (Unitad), a enchainé les succès en faveur de plusieurs accusés de la CPI, et plaidé pour les victimes au Cambodge. Le Comité, qui pouvait présélectionner jusqu’à six candidats, les a écartés.

Un procureur anti-mafia écarté

Les contradictions ne manquent pas. « C’est intéressant de voir que les États qui prétendaient vouloir quelque chose de nouveau, sont ceux qui maintenant demandent des personnes qu’ils connaissent », observe Nölke, lors d’une rencontre virtuelle avec les ONG, le 28 juillet. En créant le Comité, « les États espéraient des profils de procureurs nationaux ayant une expérience internationale », indique une source diplomatique à La Haye. Or, le plus capé des candidats au sang neuf, le procureur de Palerme Francesco Lo Voi, a été écarté. Ce magistrat s’est illustré par l’arrestation en 2018 du successeur de Toto Riina, parrain de la mafia Cosa Nostra. Il est à la tête d’une équipe de 120 procureurs et fut, dans le passé, représentant de l’Italie à Eurojust, le réseau de procureurs européens.

Les ONG divisées

Fin juillet, si quelques États soutiennent le Comité non par adhésion à ses conclusions mais parce qu’il est une émanation de leur Assemblée explique un diplomate, beaucoup prônent une sortie en douceur. Ils préconisent d’auditionner les quatre candidats sélectionnés, pour vérifier si l’un d’entre eux ferait consensus, faute de quoi il faudrait rejeter les conclusions et reprendre le travail à l’étape précédente. Ainsi, le Comité ne serait pas totalement délégitimé. Et les États ne seraient pas tentés d’avancer des candidatures « sauvages ».  

Alors que les États font entendre leurs désaccords, les communiqués se succèdent et les ONG se divisent. Trente d’entre elles, menées par Open Society Justice Initiative, Human Rights Watch et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, estiment que s’écarter des conclusions du Comité « pourrait conduire à l’élection d’un procureur incapable de fournir le leadership, les compétences et l’intégrité dont la CPI a si urgemment besoin ». Mais six ONG du Burkina, du Congo et de Centrafrique les refusent, et demandent aux États d’en « tirer toutes les conséquences possibles afin d’éviter que la Cour continue dans la mauvaise trajectoire », tandis que dix ONG kényanes demandent au président de l’Assemblée de « se tenir du bon côté de l’histoire en intervenant pour mettre fin à la parodie ».

Les 29 et 30 juillet, les quatre candidats présélectionnés sont auditionnés, par les États parties et les ONG. Face à des compétiteurs moins au fait des réalités de la Cour et des clés de l’élection, l’Irlandais Fergal Gaynor passe l’examen haut la main. À l’heure où d’aucun veulent croire à un sursaut, le Canadien Richard Roy promet de s’appuyer sur les équipes en place et de poursuivre la politique pénale de ses prédécesseurs. L’Américano-nigérian Morris Anyah s’appuie sans originalité sur son expérience des tribunaux ad hoc. Quant à l’Ougandaise Susan Okalany, elle se heurte à des problèmes techniques. La liaison Internet est incessamment coupée et la juge doit donc répondre en cascade aux questions à chaque fois que la bande passante le permet. Face à une candidate légèrement agacée, le président adjoint de l’Assemblée tente alors un « faites-moi un sourire » qui lui vaut d’être immédiatement gratifié du hashtag #SmileGate sur Twitter.

L’intégrité à l’ère MeToo

« À la lecture du rapport, on entrevoit la possibilité que les favoris avaient des problèmes éthiques, moraux », analyse un membre d’une ONG. En avril, le Comité avait fait valider par les États parties « une procédure d’habilitation » introduite à la demande de la société civile. Le rapport y consacre plusieurs pages et sème le trouble, laissant entendre que plusieurs candidats ont été recalés sur cette base. Sur les 89 postulants, plusieurs expriment leur colère. Début juillet, Nölke s’en est expliqué avec les États. « Comme je l’ai dit très clairement aux États parties, dit-elle, le processus de vérification n’a révélé aucune information disqualifiante ».

La diplomate canadienne assure aussi, non sans ambiguïté, que « ceux qui ont été écartés ne l’ont pas été sans raisons valables » et précise avoir reçu « des messages non sollicités de la part d’ONG, de barreaux et même d’État parties, et nous les avons écartés ». Elle ne commentera pas plus avant.

Dès décembre 2019, deux ONGs, Open Society Justice Initiative et Women’s initiative for gender justice avaient réclamé un contrôle de la « haute moralité » des candidats. En janvier, le syndicat du personnel de la CPI met en garde les États sur les futurs élus, juges et procureur, expliquant que « l’intimidation, le harcèlement, la discrimination et l’abus de pouvoir nuisent au bien-être et à la santé du personnel de la Cour et entraînent un mauvais climat de travail. » Puis lors d’un séminaire en ligne organisé par les blogs Opinio Juris et Justice in Conflict, la question devient centrale. La Haye bruisse alors d’allégations visant plusieurs candidats. Danya Chaikel, juriste, écrit que le prochain procureur « doit incarner l'intégrité à l'ère MeToo ». « Lorsque la question du harcèlement au travail et du harcèlement sexuel est arrivée, c’était un sujet de grande préoccupation particulièrement pour la société civile, et c’est pourquoi nous avons intégré des questions dans les entretiens et créé le processus de vérification », explique Nölke. A l’époque, le Comité Helsinki Norvège, dans un courrier au Comité, s’inquiète que l’élection se transforme en exercice de délation.

Le 11 septembre, alors que le président de l’Assemblée des États parties continue ses consultations, et que la perspective d’un consensus sur l’un des quatre candidats s’estompe, Open Society et Women’s initiative for Gender Justice lui adressent un nouveau courrier. Elles demandent un contrôle élargi de tout candidat potentiel, passant par la vérification de leur indépendance et leurs liens avec les États, la prise en compte de témoignages d’anciens collaborateurs, et tout ce qui pourrait constituer un « drapeau rouge ». Cette fois, seules les deux ONG ont signé l’appel, note le professeur Kevin Jon Heller sur son blog. « Les organisations de la société civile jouent un rôle sans précédent dans ce processus électoral de la CPI » regrette Gunnar Ekeløve-Slydal, du Comité Helsinki Norvège, qui invite les ONG à « prendre du recul et réfléchir attentivement à une vue d'ensemble ». Mais les quelques États qui refusaient de rejeter la sélection du Comité s'accrochent alors aux propositions des deux ONG et demandent eux aussi des garanties. Et les modalités sur la suite du processus continuent de faire débat.

Le « grand troc » des positions internationales

Pendant ce temps, les États poursuivent lentement mais sûrement « le grand troc » présidant aux postes de prestige dans les organisations internationales. Certains tablent sur le ou les postes de procureurs adjoints, dont l’élection aura lieu en 2021. D’autres, comme le Royaume Uni, se concentrent sur l’élection de leur juge, Joanna Korner. C’est sur l’élection des juges à la Cour internationale de justice, cette fois, que se concentrent les Belges et les Allemands, tout comme l’Ouganda et le Kenya. Le lieu de l’élection du procureur fait lui-même débat. Prévue à New York, l’Assemblée pourrait se réunir à La Haye, en raison de la pandémie de Covid-19 et des sanctions décidées le 2 septembre par l’administration américaine contre la procureure et son chef de la coopération, auxquelles s’ajoutent des interdictions de visa dont les cibles sont confidentielles. Et l’incertitude domine, comme jamais, à moins de trois mois d’un vote éminemment symbolique, pour la CPI et pour le reste du monde.

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